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[Fsfe-france] Tribune dans Libe : Telechargement et altruisme
From: |
Frederic Couchet |
Subject: |
[Fsfe-france] Tribune dans Libe : Telechargement et altruisme |
Date: |
Mon, 21 Mar 2005 23:38:03 +0100 |
User-agent: |
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Téléchargement et altruisme
Par Pierre-Yves GEOFFARD
lundi 21 mars 2005
La cour d'appel de Montpellier vient de confirmer la relaxe en
première instance d'un jeune Aveyronnais chez qui près de 500
copies de films avaient été saisies. Même si, de fait, les juges ne
se sont prononcés que sur le caractère légal de la copie à titre
privé, cette nouvelle a été accueillie avec un profond soulagement
par tous les adeptes du téléchargement. Sans surprise, les parties
civiles, dont les représentants de l'édition vidéo et des
distributeurs de films, ont décidé de se pourvoir en cassation. La
stratégie des producteurs de musique est identique, cherchant par
tous les moyens judiciaires à obtenir la condamnation d'internautes
qui échangent des fichiers musicaux sur les réseaux peer to
peer. Il en irait, selon eux, de la survie de l'industrie du disque
et, partant, de la création musicale.
Cette stratégie ne manque pas de rappeler l'obstination des grandes
firmes pharmaceutiques à lutter contre les copies de médicaments,
même lorsque celles-ci sont produites au sein de pays pauvres, pour
soigner des populations pourtant incapables de payer le prix
fort. L'argument est d'ailleurs de même nature : la copie
menacerait directement leur intérêt à développer de nouveaux
médicaments. Ces industries ont de nombreux points communs : outre
la part importante de leur chiffre d'affaires consacrée à la
publicité et au marketing, elles mettent en oeuvre des processus de
développement (ou de recherche) lourds, coûteux et risqués. Mais,
surtout, leur talon d'Achille vient de la nature même de leur
production : elles fabriquent, essentiellement, de
l'information. Ainsi, un fichier musical ou un DVD n'est guère
qu'une suite de 0 et de 1 ; de même, ce qui donne de la valeur à
une molécule, c'est bien la démonstration qu'elle est efficace pour
lutter contre telle ou telle maladie. Or l'information est un bien
public, dont l'usage par autrui ne diminue en rien ma propre
possibilité d'en jouir. Certes, ce n'est pas vrai du support
physique effectivement vendu (un disque rond emballé dans du vilain
plastique, une gélule dans un peu de carton) ; mais seule
l'information confère à ces objets leur valeur de vente.
Dans le cas des fichiers musicaux ou d'images numérisées, le
développement des réseaux d'échange sur le Net permet à chacun de
disposer, à coût presque nul, du même contenu qu'en achetant son
support physique à un prix élevé. C'est pourtant un phénomène assez
nouveau car le consommateur (celui qui télécharge) est aussi le
producteur (celui qui laisse ses fichiers libres d'accès). A
priori, comme pour tout bien public, l'efficacité de ces réseaux
d'échange ne va pas de soi, et l'analyse montre qu'ils sont bel et
bien confrontés au problème classique du «passager clandestin» : de
nombreux usagers consomment le bien produit par d'autres sans
participer à sa production, ce qui est une attitude rationnelle
lorsque la seule motivation est l'intérêt privé. Certes, des
mécanismes permettent d'améliorer l'efficacité du fonctionnement
des réseaux. Par exemple, donner une priorité d'accès aux
internautes ayant fourni de nombreux fichiers incite chacun, même
le plus égoïste, à contribuer au bien commun. Pourtant, même en
l'absence de tels dispositifs incitatifs, ces réseaux existent et
fonctionnent à grande échelle, révélant des comportements
altruistes, ou de conformité à une norme sociale qui valorise le
partage de ses propres fichiers.
Pour l'industrie du disque, il est important de comprendre la part
relative de ces différentes motivations. Lutter contre l'altruisme
ou chercher à changer les normes sociales, en diffusant des
messages aussi subtils que «téléchargez-moi légalement» semble
dérisoire. La bataille se concentre donc sur les usages égoïstes, à
travers une augmentation de la différence de valeur entre le
produit original et sa copie téléchargée. La sanction judiciaire du
téléchargement augmente évidemment son coût, mais on voit que la
jurisprudence est peu claire, et qu'en tout état de cause, le
nombre de condamnations représente une part infime des actes
illicites. La diffusion massive de «faux» fichiers sur les réseaux
d'échange constitue une autre manière de diminuer leur attrait, au
risque toutefois d'un certain ridicule... Une autre réponse
consiste à améliorer l'intérêt pour le support physique lui-même, à
travers une pochette originale et difficile à reproduire ou, enfin,
une baisse de son prix de vente.
Pourtant, le prix des CD reste élevé. L'analogie avec l'industrie
pharmaceutique est encore intéressante : la concurrence des
génériques, exactes copies d'un médicament original, conduit
souvent son producteur à augmenter le prix de celui-ci. Il
concentre ainsi ses efforts sur des consommateurs plus sensibles à
la marque qu'à son prix. Ce segment est composé de clients très
profitables, prêts à accepter des marges élevées. Le reste du
marché est alors «abandonné» à la concurrence des génériques.
Si la jurisprudence confirme sa récente tolérance vis-à-vis du
téléchargement, les majors pourraient suivre en dernier ressort une
telle stratégie paradoxale : augmenter encore leurs prix, et...
contribuer ainsi à l'effondrement de leurs ventes et au
développement des réseaux d'échange !
Pierre-Yves Geoffard est chercheur
au CNRS (PSE Paris-Jourdan).
--
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Frederic Couchet +33 (0) 6 60 68 89 31
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